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La Main à l’Oreille
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Des bords à l'écoute

Par Marc Langlois, Juillet 2013 

Nous en avions parlé Alain Gentes et moi cet hiver. Organiser une rencontre entre l’autisme et la mer. Inviter des enfants épris de liberté à prendre le large. Attraper le vent pendant que les parents soufflent. Une journée voile. 

Rendez vous pris. Dans le bassin d’Arcachon. Le grand Piquey. 11H30. Vendredi 19 juillet.

Nous avions convenu de deux sessions : la première le matin avec deux premiers enfants. La deuxième l’après midi à 15h30 avec deux autres. Mahé, enfant différent et son petit frère, Zadig embarqueraient les premiers.

Ils arrivent à l’heure convenue.

Préparation du matériel, gonflage du petit zodiac annexe du voilier.

– Mais pourquoi tu gonfles tes pneus ? demande Mahé très intrigué par l’opération. 

On se souviendra que le petit moteur deux temps n’est pas un moteur mais un robot qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler on ne sait quelle aventure de l’espace.

Mise à l’eau de l’annexe. Départ du premier parent avec Alain. Un quart d’heure plus tard les enfants embarquent à leur tour sur le voilier. 

S’asseoir dans le cockpit bien sagement en attendant que le skipper hisse la grand voile. Découvrir des yeux la ligne d’horizon, apprivoiser les vaguelettes contre la coque, s’habituer au gilet de sauvetage griffé du nom du bateau : « Raspoutine ».

 Comprendre les coins et recoins du voilier (et oui, c’est vrai, on peut même dormir dans un bateau) et puis cet écran magique qui indique en cristaux liquides la profondeur d’eau sous le bateau. Il indique 7.90 mètres. Et là il y a débat.

– C’est quoi ça ?

– Mais enfin, c’est une horloge. Il est 790 heures.

– Non, c’est un instrument pour mesurer la profondeur.

– C’est profond de sept cent quatre vingt dix mètres ? demande Mahé.

– Non, il y a un point entre le sept et le quatre vingt dix ça veut dire que c’est profond de sept mètres quatre vint dix.

– Alors ça fait combien ?

– Presque huit mètres.

– Alors j’ai pied ?

Pendant que nous débattons sur les profondeurs de toutes les mers et de toutes les piscines du monde, là où on a pied et là où on n’a pas pied, et si on peut toucher le fond, et même avec des palmes ? Alain hisse le génois. C’est parti.

Il y a un petit vent qui court par endroit sur le bassin d’Arcachon. Nous croisons quelques oiseaux, quelques voiliers, quelques poissons qui sautent. Des jet ski et des bateaux à moteur. Et puis aussi des gros bateaux. Tout ça fait beaucoup de vagues.

A mesure que nous nous éloignons de la côte, le soleil se montre plus féroce et plus dur. Comme nous l’avait demandé Mahé une semaine avant tandis qu’une amie se plaignait de la chaleur ; Non le soleil ne tape ni ne cogne personne.

Tout à coup, tandis qu’une petite brise se lève, Mahé sonne l’heure de la récréation et plonge ses pieds dans l’eau en s’asseyant sur la jupe du voilier.

– Il est l’heure de la récréation ! C’est la récréation dans l’eau. C’est la récréation des pieds.

Nous passons a deux miles de l’île aux oiseaux, tirons des bords pour revenir car le vent a tourné. Le courant nous déporte. Le vent fini par tomber. Nous repartons au moteur, le vent revient, nous hissons à nouveau le génois et tirons encore des bords et des boutes. A chaque manoeuvre Mahé qui s’est assis à l’avant du bateau, adossé au mât, nous aide à passer le génois. 

Puis il se lève. C’est l’heure de la récréation des pieds. Il s’installe et plonge ses pieds dans l’eau. Il regarde ses pieds dans la transparence de l’eau. 

– Tiens ? un bout d’île !

C’est un pied qui dépasse.

Nous arrivons à notre point de départ. Il est temps de lancer la deuxième session.

C’est au tour de Tom et Tristan. L’un a 11 ans et l’autre a 7 ans. Ils prennent place dans les gilets de sauvetage.

De la plage où nous les voyons s’éloigner, s’échappe un mouvement d’air, une décontraction. Ce n’est pas le vent qui est complètement tombé, de toutes façons, ni l’air, qui est encore plus lourd et plus irrespirable. Ce sont juste des parents qui respirent et se laissent aller à l’ivresse du rivage. Il se passera deux ou presque trois heures où nous n’aurons à inventer pour la normalité aucune contorsion. Autant dire une éternité. Libre des regards sévères et des remontrances. Il y a trois éclats de rire, deux assoupissements, un verre ou deux et cinq blagues.

Nous voyons les voiles se hisser, le bateau manœuvrer, virer de bord et se confondre à la ligne d’horizon. Tout autour de nous les gens se baignent, les bateaux sont mis à l’eau, d’autres en ressortent.

 – Et toi, le tiens quand il fait ça, tu fais quoi ?

– Moi je n’irai plus dans les squares. Trop dur.

– Marcher dans les rues de Bordeaux sans trop y penser.

– Oui.

– J’ai du sable sur ma serviette.

Le zodiac reparaît. Il s’est passé cinq minutes, il s’est passé deux heures.

– Tom a jeté sa casquette dans l’eau. De colère.

– On a tous fait pareil, ça nous a rafraîchis.

– Tom a rempli la bouteille d’eau de mer.

– Il l’a bu.

– Du coup il a plongé sa tête dans l’eau depuis la jupe du bateau.

Comme quoi, regarder sous les jupes…

Lorsque le bateau a été ancré, les enfants baignés où l’on a pied et où l’on a pas pied, l’annexe dégonflée. 

– Pourquoi il dégonfle ses pneus ?

Lorsque l’on a secoué le sable d’à peu près tout le monde, rangé le matériel, dégaré les voitures, Tom s’est mis au piano. Dans la maison d’Alain et Dominique, entre les bassins asiatiques, les hamacs et les portes ouvertes et les enfants qui courent en faisant des ronds et en jetant des choses. C’est au milieu de gammes improbables et belles qu’Alain nous a préparé le dernier large fait de menthe et de citron, de sucre de canne et de glaçons. Un bord que nous avons tiré tous ensemble à la santé des enfants comme on tire un feu d’artifice.

– Où est Tristan ?

– Avec Mahé.

– Où est Mahé ?

– Dans le hamac, avec Tristan.

– Les mots tordus, voilà un bouquin !

– Il joue bien du piano Tom !

– Tom a pris la barre toute à l’heure sur le bateau.

– Et alors ?

– Il se débrouille super bien à la barre !

– Il manœuvre bien, il barre bien.

– On est bien barrés !

– Les enfants descendez ! Ce n’est pas fait pour ça.

– Santé !

Et nous prenons une photo : 

 

Voilà. C’était un vendredi 19 juillet. Nous nous sommes séparés d’un apéro du soir, d’un concours de vitesse de hamac des enfants et d’une photo d’équipage.

Rendez vous pris pour la suite.

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