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La Main à l’Oreille
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Il y avait jeudi soir à l’hôpital de jour de La Demi-Lune une atmosphère toute particulière, joyeuse et détendue que j’ai perçue au moment même où je me suis retrouvée devant l’entrée en compagnie de l’infirmier et d’un monsieur dont je ne savais pas qu’il était parent d’un enfant autiste. Cette impression s’est poursuivie tout au long de la réunion à laquelle participait, ce soir-là, une dizaine de parents d’adolescents accueillis dans ce lieu, les personnes y travaillant, et un invité surprise, Olivier, un jeune adolescent de 13 ans. Pour la deuxième fois consécutive, La Demi-Lune nous avait invités au nom de La main à l’oreille.

Olivier, l’adolescent a ouvert cette réunion avec un brin d’humour, se proclamant psychanalyste, clin d’oeil directement dédié à Philippe Lacadée dont c’était la dernière réunion officielle après tant d’années d’implication et d’exercice, comme il nous l’a évoqué plus tard. 

Un premier parent, celui rencontré devant le pas de la porte, a pris la parole pour poser une question. Ce monsieur voulait savoir si La Demi-Lune était d’orientation psychanalytique, suite à la discussion qu’il avait eue avec l’infirmier concernant La main à l’oreille. Il ajouta que depuis que son fils se rendait dans cet établissement, il ignorait ce qu’il y faisait, ce qu’il s ‘y passait et n’avait aucune idée de la façon de faire des professionnels. Ses interrogations, adressées sans animosité, m’ont toutefois semblé appeler une réponse directe de la part l’équipe encadrante et impliquer un début de reproche tacite. D’autant que ce parent ne semblait pas connaître les particularités des orientations des accompagnements des personnes autistes. Philippe Lacadée, plutôt que de répondre directement, a eu la subtilité de contourner cette question au final délicate, vu le contexte actuel lié au 3ème plan autisme, pour mettre l’accent sur la façon d’accompagner les enfants à la Demi-Lune. Pour ce faire, il a laissé la parole au jeune Olivier qui a témoigné de son parcours réussi de trois années à La Demi-Lune. Celui-ci a évoqué avec aisance les bénéfices qu’il en a retirés et qui lui a permis de se sentir aujourd’hui mieux dans sa peau, enthousiaste, en confiance et avec un projet d’activité au sein d’une équipe de pompiers, sa nouvelle passion. À écouter Olivier, nous avons pu comprendre concrètement la façon d’y faire de l’équipe de La Demi-Lune auprès des personnes ayant des symptômes autistiques. En premier lieu, une écoute attentive afin d’appréhender la situation personnelle de l’enfant, un positionnement des accompagnants allant chercher l’enfant avec ses particularités propres plutôt que de lui imposer de venir vers eux. La mère d’Olivier a appuyé verbalement le témoignage de son fils en précisant qu’à la demi-lune, tout était centré sur l’enfant, non pas sur les parents ni sur les personnes y travaillant mais exclusivement sur l’enfant. Philippe Lacadée a pu, à partir de ces dires, conclure que c’est bien de cette façon là que tous travaillent à La Demi-Lune, n’appliquant pas la psychanalyse mais s’y inspirant, s’y référant. Il a ajouté que ces adolescents ont des états intérieurs qui sont un frein à leur épanouissement et que tout le travail est d’amener ces personnes à les traduire par les mots ou par la création artistique comme l’illustraient les peintures affichées sur les murs. À cela, le parent a répondu que l’exemple d’Olivier ne peut apporter une réponse au cas de son fils, qui lui se trouve dans une situation plus difficile au départ. Selon lui, le cas rapporté est « exceptionnel », il ne saurait illustrer le cheminement des tous les autistes inscrits à la Demi-Lune. Olivier a alors repris la parole pour dire que lui aussi était dans une situation difficile lorsqu’il est arrivé à La Demi-Lune, qui n’est nullement comparable avec celle dans laquelle il se trouve aujourd’hui. J’ai trouvé la remarque du père pertinente dans la mesure où bien souvent, pour démontrer la réussite d’une méthode, quelque soit le domaine, on a tendance a prendre un exemple isolé qui ne saurait refléter la réalité des difficultés de la majorité. J’ai tout de suite pensé à Rachida Dati qu’on nous a érigée comme un modèle d’intégration parfait, une beurrette sortie de sa cité devenue ministre à coups de volontés. J’ai pensé aussi aux quelques joueurs de foot qui ont réussi et qui confortent le discours facile « quand on veut on peut, tout le monde peut réussir, devenir riche, la preuve ces gens viennent bien eux aussi des quartiers difficiles ». Aussi, je me suis dit que si j’avais assisté à une réunion de pro- tcc, il est évident que j’aurais pu avoir la même remarque que ce père. À cette différence, que le témoignage d’Olivier et de sa mère transpirait un réel épanouissement de ce garçon, un apaisement profond et non de surface, grâce à un accompagnement humain de la part du personnel de La Demi-Lune et de sa mère, privilégiant l’écoute plutôt qu’une méthode prête à appliquer. Sa mère, en phase avec la façon de faire des professionnels de La Demi-Lune, nous a révélé son engagement à être au plus près de la singularité de son fils, et son encouragement auprès de lui dans sa passion de la boxe et des pompiers.

À la question de Philippe Lacadée « Qu’est-ce qui vous a frappé » adressée à Olivier, celui-ci a fait rire les parents présents par sa réponse, comme s’il avait compris frappé en pleine face. Pour ma part, je me suis souvenu de ce que m’avait dit Philippe Lacadée sur les signifiants et le symbolique : pour ces enfants, « la dette symbolique a été ravie ». Il devait rester à cet adolescent un reste de sa difficulté à symboliser certaines expressions, c’est pourquoi il avait pris celle-ci à la lettre, mais peut-être en jouait-il pour se mettre en scène, conscient de ses talents, et faire rire ceux qui l’écoutaient !

Les témoignages des autres parents m’ont confirmé que le cœur de la difficulté des parents d’enfants dits autistes est bien d’apprendre à vivre avec cette différence au quotidien, avec les autres. L’acceptation de cette différence est pour moi le chemin vers lequel doivent tendre les parents pour que leurs enfants puissent développer leurs façons d’être, propre à tout un chacun, dans l’apaisement et la confiance, en laissant le plus loin possible la pression, réelle ou fantasmée, dictée par l’environnement social. Une fois acquise cette acceptation, je suis convaincue que l’enfant gagne une confiance en lui et se trouve dans de meilleures dispositions pour exprimer et développer ce qu’il a de riche au fond de lui. L’acceptation de cette différence passe par la dédramatisation de ce qui arrive à l’enfant et donc, par ricochet, aux parents qui n’avait pas imaginé avoir un enfant différent, en marge de la norme. Cela implique d’accepter sa façon d’être qui souvent choque, accepter aussi de ne pas prévoir son avenir à moyen ou long terme, discussion que nous avons eu avec des parents à la sortie. En écoutant les parents parler, je me suis rendu compte que la limite à l’acceptation de la différence est la non scolarisation de leur enfant. C’est le point sur lequel ils butent car ils s’inquiètent de voir leur enfant hors de ce lieu « normal » où devrait grandir tout enfant. D’autant plus que l’école aujourd’hui a ouvert des classes spéciales sensées accueillir ces enfants décalés. De ces témoignages de parents dont les enfants ont été scolarisé dans le public ou dans le privé (par exemple à l’école du Mirail à Bordeaux), il ressort que l’école, les enseignants, les directeurs n’ont pas su accueillir cette différence. Un parent a évoqué le fait qu’arrivé en 6ème, son fils avait été mis en observation, ce qui ne lui a pas plu : « on n’observe pas mon fils comme un objet ». J’ai senti que la question de la scolarité hantait quelques parents, surtout les pères qui semblent avoir plus de mal à accepter les difficultés de leur enfant sur ce point précis. Ainsi lorsque ce père parlait des difficultés de son fils en 6ème, cela s’apparentait pour un autre à un rêve auquel son fils n’avait pu accéder, le sien étant parti de l’école après le CP pour ne plus y revenir. Ce monsieur nous a confié, une fois la réunion terminée, qu’il ne comprenait pas que son fils arrive à lire et faire le travail le lundi, jour où il ne se rend pas à La Demi-Lune et qu’il en soit par contre incapable les autres jours. Je lui ai dit ce qu’une autre mère lui a confirmé : cela prouve qu’il y a un travail de fond effectué mais peu visible hormis le lundi. En tant qu’analysante, je perçois bien que le travail de fond n’est pas visible ni quantifiable mais que les progrès qui apparaissent s’ancrent peu à peu de façon profonde et non superficielle, contrairement à ce que peuvent, selon moi, apporter des méthodes de rééducation intensives. Personnellement, je suis favorable à ce que les enfants soient inclus dans les écoles mais à entendre les parents ce soir-là témoigner, je me disais : « qu’est-il préférable : une intégration à l’école avec de la souffrance ou bien pas de scolarisation et un enfant apaisé ? » Mon fils étant scolarisé, ce dilemme, je me le pose souvent, bien que cette année, grâce aux babysitters qui se relaient, mon fils semble avoir trouvé son équilibre à l’école. L’inclusion scolaire est le point sur lequel l’école doit travailler si elle veut être à la hauteur de son ambition d’accueillir tous les enfants, avec notamment les dispositifs mis en place avec les classes spéciales. L’avantage de l’école est qu’il permet notamment aux enfants différents d’être en contact avec les autres. La mère d’une petite fille a d’ailleurs évoqué la limite de LaMao à organiser des activités ne mêlant pas d’autres enfants. Ces enfants devraient-ils ne se retrouver qu’entre eux ? Cette remarque pertinente m’a rappelée que c’est un point que nous voulons travailler à LaMao Aquitaine : les ateliers pourraient être ouverts aux enfants dits non autistes. Ceux qui auraient un vrai désir de venir pourrait y participer avec les enfants ayant des traits autistiques à condition qu’ils s’adaptent vraiment aux autres. L’équilibre ainsi serait renversé ! La maman de cette petite fille racontait que sa fille avait eu la chance de rencontrer un professeur de musique qui prend sa fille telle qu’elle est sans même avoir à prononcer le mot autiste. Cet exemple n’illustre-t-il pas l’intégration telle qu’elle devrait être ? Lorsque l’enfant est accepté sans qu’il y ait lieu de prononcer un mot excusant la façon d’être ? Comme l’écrivait une psychanalyste mère d’un enfant autiste, ce signifiant peut être lourd. 

Lors de cette soirée, d’autres parents ont évoqué que qualifier son enfant d’autiste vis-à-vis des autres pouvait excuser son comportement considéré à priori comme celui d’un enfant mal élevé. Si cela doit passer par ce mot, comme c’est bien trop souvent le cas, certes, mais cela reflète une intégration superficielle, voir compassionnelle qui ne me satisfait pas. Un autre parent a lui relevé que le fait de poser le mot autiste sur un enfant peut poser problème car cela peut effrayer les parents d’enfants « normaux » qui prennent peur pour leurs enfants. N’est-ce pas ce qu’on voulu les gouvernements qui se sont succéder ? Le règne de la peur pour mieux pouvoir contenir les gens ? Une mère racontait qu’une fois, son petit garçon de 4 ans scolarisé à la maternelle a griffé un autre garçon à l’école. Les parents ont fait une procédure, le Procureur de la République a enquêté. Ces témoignages m’ont fait penser aux déboires que nous avons eu avec des parents de l’école de Mahé, mais parallèlement, de façon plus joyeuses à un autre événement : Mahé m’accompagnait à la poste et ne voulait pas y aller, ce que je comprends bien. Arrivé à la poste, il hurlait : « c’est pourri la poste, c’est moche et on attend, je déteste la poste, je vais leur dire aux gens que c’est pourri. » Je lui demande alors de baisser le ton, j’essaie de le rassurer en lui disant qu’on va bientôt partir mais que j’ai une lettre à poster. Surprise, parmi les gens, un homme le regarde tout attendri et rit aux éclats, l’encourageant presque à s’exprimer si librement. Cet homme venait poster un livre d’ Hannah Arendt, nous le croisons souvent depuis et on se salue.

Accepter la différence c’est aussi se sentir libre par rapport aux autres, ce qu’a bien compris la mère d’Olivier nous disant à la sortie qu’elle se fichait complètement du regard des autres.

L’important est la rencontre de l’enfant avec une personne pouvant lui donner le goût des choses, comme l’a illustré le témoignage d’une mère (la mère d’Olivier ?) disant qu’à La Demi-Lune le personnel est là pour l’enfant seul, pas pour les parents, pas pour le personnel. Cette mère, enthousiaste a même parlé d’« abnégation » de la part du personnel ce qui exprime bien que la rencontre dans un tel cadre est plus facile pour l’enfant car elle provoquée par une attitude de désir de la part des accompagnants. Ce qu’elle a appelé abnégation s’apparente en fait au désir. Il me semble que c’est la particularité de l’accompagnement d’orientation psychanalytique. Cette façon de faire peut étonner certains parents tel que le premier monsieur qui a pris la parole, se sentant d’une certaine façon exclu de ce qui se trame entre son fils et l’équipe qui s’en occuppe. Le fait que certains parents se sentent mis de côté est un point que nous avons abordés avec quatre parents de LaMao suite au dernier café parent. Il me semble que LaMao peut être là, aussi, pour expliquer la position des professionnels auprès de parents perdus, et las de n’arriver à nouer un dialogue avec eux, étant focalisés sur l’enfant.

Au cours de cette réunion un père a parlé de la carotte qu’il donnait à son fils. Philippe Lacadée, lui a dit que c’était la première fois qu’il entendait cela de lui. Le père lui a répondu que non, il pratique la carotte très souvent et depuis longtemps pour faire progresser son fils. Il prit alors l’exemple le plus récent : son fils grâce à la carotte, en l’occurrence la promesse d’avoir une montre s’il suivait ses parents à Conforexpo, les a suivi pendant 2h (ou 4 h ?). À le voir ce jour-là, il se comportait dans la foule et malgré le bruit « comme un enfant normal ». Il a ajouté que grâce à cette montre, son fils lit l’heure et prend plaisir à la lire. En tant que parent, il m’arrive de procéder à ce type de chantage lorsque je suis fatiguée bien que je n’en soit pas fière. Bien sûre que cela marche ! Cette façon de faire faire des choses à un enfant grâce à la récompense promise me rend dubitative car je perçois que l’enfant est plus concerné par cette récompense promise que par ce qu’il fait. Je pense pour ma part qu’il est important que l’enfant puisse faire des choses en ayant conscience de l’effort que cela lui demande, du plaisir qu’il peut apporter à l’autre de façon non intéressée et gratuite.

Enfin, quelques parents ont évoqué la difficulté pour eux de voir après tant de progrès leur enfant régresser. Philippe Lacadée a demandé s’il s’agissait de moments de tristesse. Un parent a répondu que non, il avait juste l’impression que son enfant avait subitement une attitude d’un enfant de trois ans. D’autres ont confirmé. Ce sont en effet des moments de découragement total quand on donne tant de soi pour que son enfant s’en sorte et qu’on croit qu’il est enfin parti pour grandir de façon confiante et presque linéaire. On se demande alors s’il ne va pas rester bloqué à ce stade. La panique et le désespoir peut nous guetter.

Tout au long de cette réunion, le personnel de La Demi-Lune avait une présence concentrée et discrète. Les témoignages furent magnifiquement orchestrés. Philippe Lacadée a insufflé son esprit à cette Demi-Lune qui lui semble si chère, malheureusement, partant à la retraite, son poste ne sera pas renouvelé, c’est symbolique des orientations actuelles prise dans le secteur de la santé.

Témoignage d’une soirée à La Demi-Lune

 

Par Alexandra Dauplay

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